« It’s pop music, but sitting in this evil space ». C’est avec cette simple phrase Joe Yarmush, guitariste de Suuns, résume leur musique sur leur page dédiée du label Secretly Canadian. Et leur troisième album cadre pour le moins pas mal avec cette affirmation, celle d’un groupe qui fait voyager l’auditeur dans plusieurs sphères et s’évertue à corrompre ce qu’il peut jusqu’à un certain point. Une thérapie s’impose ici, le casque vissé sur les oreilles.
Prenez le titre d’ouverture, « Fall ». Avec sa bonne grosse charge électrique vous avez la promesse implicite de vous faire écorcher vif par cet album et cette idée n’apparaît même pas déplaisante. Ce que ne confirme pas – vraiment pas – « Instrument », second morceau qui vous nimbe dans une sorte de sphère électro un peu fat. En 2 titres le décor est planté : bonjour l’ascenseur émotionnel ou les montagnes russes (au choix).
Home sweet broken home
En déroulant l’album on retrouve ça et là quelques marqueurs qui avaient fait le bonheur du précédent Images du futur. « Careful » et son « sonar », le riff de « Infinity », les montées et descentes qui n’en finissent pas dans « UN-NO », « Translate », « Paralyzer ». Et, dans l’absolu, ces sons tantôt torturés tantôt « purs » de guitare, cette basse/batterie lourde et sourde, légèrement indus sur les bords, cette voix faussement angélique dont on sent qu’elle masque en réalité une mâchoire serrée, une violence contenue (« Resistance », « Paralyzer » à nouveau). Tout y est mais plus encore. À l’instar de « Brainwash », anticlimax complètement barré, sorte de balade (pop ?) désarticulée, sous calmants à dose de cheval. Ce titre pousse même le vice à être assisté par une appli à télécharger : sortez vos casques de réalité virtuelle, l’effet psychotrope est garanti 100% naturel. Suuns joue bien dans cet album au mauvais génie – au sens evil, pas médiocre hein ! – , avec un certain talent renouvelé. C’est tout son style et c’est pour cela qu’on l’appréciera. D’ailleurs il ne faut pas s’y tromper : toute cette apparente confusion sonique révèle bien évidemment une énorme maîtrise de la production. Des bêtes, ces Canadiens !
Au cœur des ténèbres, version canadienne
On peut s’étonner que ces Canadiens, avec tous ces grands espaces, en viennent à créer une musique aussi claustro-stromboscopique (voir le clip de « Paralyzer »). Peut-être que ceci explique cela serait-on tenté de dire allongé sur un divan. Quand Images du Futur (2013, Secretly Canadian) concluait sur un « Music won’t save you », il est intéressant de noter sur ce même divan que Hold/Still affirme que « Nobody can save me now ». Comme s’ils – tel un seul homme – étaient allés un peu plus loin dans leur perdition, au bord du précipice très exactement, là où il faut s’arrêter net pour ne pas tomber.
Voyage intérieur,au cœur des ténèbres, cet album sent donc bon le borderline, le souterrain, l’inconscient et ce qu’on ne voit/entend qu’en mode rêve ou cauchemar. Evil, qu’ils disaient ? Il est sacrément good en tous cas.
Suuns Hold/Still Secretly Canadian.
TRACKLIST:
Side A
Fall
Instrument
UN-NO
Resistance
Mortise and Tenon
Translate
Side B
Brainwash
Careful
Paralyzer
Nobody Can Save Me Now
Infinity
Album également disponible sur Bandcamp & Spotify.
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