Si vous lisez activement les lignes passionnées de Slow Show, vous avez deviné qu’au-delà des artistes imposants de la musique alternative (The National, Mogwai), notre rédaction est aussi naturellement attirée par tous ses musiciens indépendants, qui, en bordure des circuits médiatiques mainstream, font preuve d’une activité artistique débordante, comme le groupe américain Cars & Trains, derrière lequel se cache le très actif Tom Filepp.
Cars & Trains est l’archétype parfait de cette tentation délicieuse pour les oubliés ou du moins, pour les négligés des médias de masse. Il faut bien de temps en temps, pour ces empires médiatiques, démontrer leur capacité à saisir la richesse de la création alternative pour asseoir encore plus leur suprématie. Mais revenons à notre sujet, Tom Filepp est le fondateur du label indé’ et artisanal, Circle Into Square, très proche dans le fond comme dans la forme, du label Fake Four Inc. (Serengeti, Dope Knife, Ceschi…) sur lequel sort d’ailleurs Fictions. Ce label, qui, à certains égards, serait d’ailleurs une sorte de Madeleine de Proust de notre cher rédac’ chef, Stéphane, (oui, le mec passionné à l’origine de Slow Show) et pourtant cette chronique n’a fait d’aucune façon l’objet d’un service commandé!
Pour ma part, Cars & Trains se situe dans la droite ligne de tous ces branleurs (qui me fascinent depuis ma découverte de Beck), issus de la middle-class américaine, à l’image de Yoni Wolf et de Why?. Des artistes qui, n’ayant toujours pas réussi à choisir entre la beauté boisée du Folk et le décalage surréaliste du Rap, parient sur les samplers et les claviers. Loin de ne former qu’une légion de clones, cette scène, si tant est qu’elle existe, pourrait avoir déclaré son acte de naissance avec la création des labels Anticon et Mush, à la fin des années 90. De son côté, Tom Filepp revendique les influences de Tunng et de Dose One, mais aussi de Robert Johnson et des Kinks, ce qui en l’état, peut donner envie d’aller plus loin.
Le premier titre « The Colors and Shapes » annonce une transformation en cours, à travers cette lente déclamation vocale aux accents liturgiques. Indéniablement, ce côté prêcheur et cette voix très en avant, est la grande nouveauté du disque. Alors que notre homme avait tendance à se réfugier derrière d’étranges bricolages sonores, parfois très Lo-Fi, il impose aujourd’hui une voix plus affirmée, quelque part entre Erlend Øye (Kings of Convenience) et Ian Curtis (de façon d’ailleurs très troublante sur « Bridge »). Sur « Every Morning », au fur et à mesure de la montée progressive du morceau, il endosserait presque un costume de rappeur revendicatif à la Sole. De la même façon sur « Rise and Fall », alors que le background musical n’a pourtant pas vraiment été bouleversé: un beat élastique et bancal assez typique de la discographie de Cars & Trains, une humeur psychédélique Folk qui se fond dans les nimbes de la distorsion. Mais, soudain, un trou béant, s’ouvre et réveille le fantôme de Joy Division. Assumant avec beaucoup de maturité les limites d’une proposition minimale et bricolée, notre homme donne un relief inattendu à sa musique et à de véritables chansons (et plus simplement des exercices ludiques). Cela produit un étonnant effet de contraste par rapport à son dernier effort long format auto-produit, (en cassette uniquement d’ailleurs) Dust. L’intensité dramatique de Fictions doit ainsi certainement beaucoup à l’apport harmonique de la violoncelliste, Jesse Dettwiler et du violoniste Kyleen King. Ils accompagnent avec beaucoup de nuances, l’incarnation possédée des textes très personnels autour des questions du désir et de la frustration, en soulignant avec finesse le regard ironique et décalé sur l’impuissance individuelle face aux enjeux modernes de nos sociétés post-modernes, engluées dans le numérique, le climatique et l’écologique.
C’est une certitude, il faut toujours garder une porte ouverte pour toutes les sorties de ces musiciens de « seconde division », dont la musique a éveillé un jour notre oreille distraite et fait prononcer le fatal et insignifiant « pas mal ». Rendons donc justice à Tom Filepp, cet artisan authentique de la musique indépendante américaine, et employons aujourd’hui le mérité « excellent ».
Cars & Trains Fictions Fake Four Inc.
TRACKLIST:
Side A
The Colors And Shapes
Rise And Fall
Bridges
Every Morning
Scientific Method
Side B
The Map Becomes The Territory
Moon And The Earth
New Histories
Album également en écoute sur Spotify et Bandcamp.
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