A l’instar de Blow Up, le programme d’Arte, pas le film d’Antonioni -encore que-, qui demande à propos de son sujet/acteur traité : « Mais au fait, c’est quoi, machin-truc », la question pourrait se poser à propos de Oh Sees. Oui, Oh Sees, pas uniquement John Dwyer. S’il en est le leader ô combien charismatique, un jeu de guitare spectaculaire, l’instrument porté haut, le corps pris de spasmes géants, une capacité inégalée à avaler le micro et à moduler sa voix de 0 à 10 sur l’échelle de la violence, adepte du « Whouhou », ce bon John n’est pas seul à faire voguer la horde sonore Oh Sees. La formation, stable depuis déjà trois albums (un record !) s’est maintenant enrichie d’un clavier. Deux batteries une basse une guitare plus loin, voici Face Stabber, une heure vingt de plongée en eaux troubles.
L’accueil reservé par la pochette vaut tous les avertissements. Le balèze chauve à la couette et la peau verte sur fond rouge le dit : vous allez entrer dans un monde de douleur. Mais la douleur évoquée ici fait partie de celles qui font du bien. Rien n’interdit d’avoir les oreilles masochistes, si ?
Et si Oh Sees ne fait pas de musique pour charts, ils en sont capables, sans aucun doute. Quelle intro ! De mémoire d’intro d’albums, je ne m’en remémore aucune si singulière et accrocheuse. De là à l’entendre sur une quelconque bande FM, il faudra attendre un peu : 8 minutes pour un premier morceau c’en est trop. Car oui, beaucoup, c’est pas assez. Reproche fait ici à l’encontre des Oh Sees, autour de critiques de l’abum à sa sortie, il contient deux pavés de plus d’un quart d’heure. Quoi, il faut répondre ? Le magnéto tournait, on a trouvé ça sympa, on l’a laissé. John Dwyer l’a écrit, il ne prend personne en traitre : « Lonnnnng jams » écrit noir sur blanc dans la présentation de Face Stabber. A part ça ? Ces mecs savent jouer. Ces mecs savent jouer EN-SEMBLE. Ca groove, agresse, tangue, surfe, plane, cogne, couine, ennivre, mais surtout expérimente, autant de sensations que de morceaux ou presque. La brutalité parfois sèche du précédent album, Smote Reverser (2018, Castle Face), est ici adoucie par un clavier lubrifiant. Ajouter un membre à un groupe qui a deux batteurs ne se fait pas sans raison.
Quant aux influences, ma foi, la productivité quasi stakhanoviste du groupe n’a d’égal que l’étendue de ce qu’ils écoutent, digèrent et recrachent ici. Voici ce qui m’est venu, après la première écoute, en conversation avec ce bon Docteur Canale, deux-points-ouvrez-les-guillemets : « Putain de bordel de merde… Sur le premier morceau j’arborais un sourire béat, de ceux qui naissent à la découverte du beau visage d’une gonzesse dont on ne connaissait que le corps. Ca n’a pas duré, tant les surprises s’enchaînent. L’écoute de cet album revient à entrer au couvent et violer toutes les nonnes. Tu sais sur quels animaux il a fait des sévices ? C’est progressif, effectivement, mais il flirte encore avec le punk, l’Opéra-rock, le psyché toujours à fond. Et ça me plaît. »
Ami lecteur, si tu découvres ici les Oh Sees, Face Stabber n’est pas l’album idéal pour aborder le sujet. Mutilator Defeated at Last (2015, Castle Face) me semble plus approprié pour commencer. Si tu hésitais, plonge, et laisse-toi dériver.
Oh Sees Face Stabber Castle Face Records/Differ-Ant
TRACKLIST :
Face A
The Daily Heavy
The Experimenter
Face Stabber
Snickersnee
Face B
Fu Xi
Scutum & Scorpius
Face C
Gholü
Poisoned Stones
Psy-Ops Dispatch
S.S. Luker’s Mom
Heart Worm
Together Tomorrow
Captain Loosely
Face D
Henchlock
Album également disponible sur Apple Music, Bandcamp, Qobuz, Spotify & Tidal,
mais aussi et surtout, chez tous les bons disquaires !
Critique de An Odd Entrances
(2016, Castle Face Records)
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