Enfin un livre sur un 45 tours étendard de toute collection de disques battant pavillon rock. Un phare, une étoile du berger, une boussole, que dis-je, un guide spirituel. Sans « Wild Thing » des Troggs, où serions-nous ? Où errerions-nous ?
« Wild Thing » est le titre sur lequel des milliards de cordes de guitare ont cédé sous les coups de hachoirs de tonnes de guitaristes bucherons apprenant à dompter l’instrument. La chanson est généralement et fort légitimement créditée aux Troggs, originaires d’Andover, ville située à quarante bornes au nord de Southampton, au sud de l’Angleterre, alors que c’est l’adaptation d’un morceau du New-Yorkais Chip Taylor (James Wesley Voight), le petit frère du comédien Jon Voight (Macadam Cowboy, Délivrance, Heat, Mission impossible etc.), lui-même étant, faut-il le rappeler, le papa de Angelina Jolie. Les Troggs en ont troussé une version brutale et définitive, façon maçons de la Creuse en stage commando pour dire l’empressement qu’ils ont mis à tailler le morceau, pour un 45 tours paru en avril 1966, single qui connut une ascension vertigineuse comme le rappelle fort justement l’auteur. Le succès du 45 fut immédiat. On se souvient de mille versions différentes reprises par autant de groupes divers et variés. Alain Feydri a donc disséqué, pour la très sélect collection SevenInches des éditions Le Boulon, cet emblématique 45 tours du rock dans toutes ses composantes, pas uniquement garage ou punk comme on serait tenté de le cataloguer. Je suis sûr qu’après la version de Hendrix, même des métalleux ont versé leur obole. Je n’en sais rien, je subodore. Pour parler de ce chef-d’œuvre inoxydable qu’on peut écouter des milliers de fois en boucle sans jamais se lasser et qui ressurgit régulièrement pour illustrer une pub ou enjoliver la bande-son d’un film, l’auteur natif du Pays de l’homme a utilisé la méthode qu’il emploie à chacune de ses biographies, toutes faisant référence (Flamin’ Groovies, Cramps, Kinks), il installe son sujet au centre du livre et il tisse sa toile tout autour. Rien ni personne ayant trait au sujet n’échappe à sa sagacité. Ainsi, il brode une forme d’arbre généalogique extrêmement pointilleux et infiniment précis. Alors qu’on s’attendait à un livre axé uniquement sur le 45 tours, ce petit filou de Alain Feydri en profite surtout pour glisser en loucedé une bio des Troggs. Il évoque leurs liens avec les Kinks, les reprises qu’ils intégraient au répertoire, leur direction musicale bien arrêtée, des punks avant l’heure. Ils étaient plus « Helter Skelter » que « Ob-la-di Ob-la-da » ou « Yellow Submarine » si vous voyez ce que je veux dire (oui, je ne manque jamais une occasion de leur mettre une petite cartouche aux quatre coiffeurs de Liverpool, question de principe), et leur sujet de prédilection était le sexe, thème inhérent au rock’n’roll : « Il y a chez eux une érotomanie de club de vacances ». Mais leur motivation première était de s’amuser : « Les Troggs, c’est aussi l’histoire d’un entêtement irrationnel, d’une illogique volonté à ne pas accepter voir le rêve prendre fin. » Pouvait-on rêver meilleure conclusion à ce billet ?
Alain Feydri The Troggs – Wild Thing Le Boulon
(118 p., 12 €)
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