Apollo 10 ½ est un film de rêveur, qui n’a d’objet que ce qui s’est passé, à un moment, quelque part sur Terre.
Ce moment précis qui fait avancer la narration du film est l’été 1969. Stan, le benjamin d’une famille nombreuse, vit dans la banlieue de Houston (où Linklater a grandi) lorsqu’il est engagé, secrètement, pour préparer le premier vol vers la Lune dans un module trop petit pour y faire rentrer un adulte. La vie de Stan est étroitement liée au centre spatial de la Nasa construit à Houston au début des années 60. Comme les autres enfants de son quartier, Stan fantasme le poste de son père alors simple « pousseur de papier ». D’emblée, nous oscillons entre rêve et réalité dans une atmosphère légère et de l’insouciante, bercés par la narration en voix-off de Jack Black. Je pense à Stand By Me* (même forme narrative) ou Licorice Pizza** pour son élan vital. Effet madeleine.
Apollo 10 ½ est un film plein de douceur à la bande son ultra riche. Johnny Cash ou les Monkees accompagnent les moments de vie de la famille. Il y a une forme d’exploration des moments de joie de la vie d’enfant, comme lorsque Stan découvre 2001, l’Odyssée de l’espace : rien n’est plus beau que de découvrir pour la première fois des films qui marqueront votre vie. Pendant 1h30, on suit la vie d’un gamin de la banlieue où tout y est nouveau : les lotissements, les routes, le parc d’attraction, les chaines de restos rapides, le drive-in, l’AstroDome. C’est un film à hauteur d’enfants dans un monde où tout semblait possible, où la pollution était encore une inconnue. Linklater raconte sa jeunesse (Un peu comme PTA l’a fait avec Licorice). Il s’intéresse avec un certain recul aux moments de rupture entre l’enfance et l’âge adulte, illustrés dans une scène à l’AstroWorld, lorsque l’abominable homme des neiges prend sa pause cigarette et que les enfants ont accès à l’envers du décor : ils conscientisent la supercherie de la mise en scène, en un sens, ils ne sont plus dupes. Cette scène dégage d’ailleurs, caméra en plongée, une mélancolie ou une infinie tristesse du basculement d’un âge où tout est possible à celui où plus rien n’est possible. L’enfance est fugace. D’ailleurs, qu’en restera-t-il pour mes enfants ? Grandissent-ils dans la même insouciance que celle de notre enfance, réelle ou fantasmée ? Est-elle la même selon les époques ? Le film me fait opérer une comparaison étrange et pourtant familière : je calque la mélancolie de la jeunesse des années 60 au Texas à celle de mon enfance dans les années 90 en Auvergne. Il y a convergence. Est-ce un fantasme ? Une construction qui serait propre à nous tous ? Dans un monde toujours plus « moderne », la jeunesse de nos enfants sera-t-elle racontée dans 50 ans avec la même candeur alors que nous, adultes, semblons nous angoisser toujours plus ? Enfin, question essentielle : est-ce que les enfants font encore des canulars téléphoniques ? Il faut savoir poser les bonnes questions.
Les années 60 n’étaient pas le fête de l’insouciance, si la prospérité économique était plutôt au rendez-vous (pour la classe moyenne en tout cas) le monde, de manière générale, connaissait la peur d’une guerre nucléaire. Les Etats-Unis avaient le Vietnam, les émeutes raciales… Richard Linklater aborde d’ailleurs, toujours dans le cadre de la vie quotidienne de Stan et sa famille, la fuite des middle class (blanches) vers l’extérieur des villes. La question raciale est mise plusieurs fois en scène, sans lourdeur, lorsque l’ainée, la plus émancipée, critique le choix de ses parents de s’éloigner du centre jusqu’à faire constater à sa fratrie qu’il n’y qu’un seul Afro-Américain dans leur classe. Pour les thèmes communs à chaque époque, on appréciera aussi le rôle de la grand-mère avec ses théories conspirationnistes : JFK n’est pas mort mais il est maintenu à l‘état de légume sur une ile grecque. Comme quoi, tout change sans vraiment changer.
Apollo 10 ½ raconte les jours d’oisiveté, de bonheur, de jeux (baseball, kickball, ouija, virées en vélo…) dans un monde où il se passe des choses folles. Où les Etats-Unis ont envoyé les premiers hommes sur la Lune dans une lutte géopolitique avec les Soviétiques, ennemis communistes qu’il fallait surpasser. La rotoscopie, procédé formel utilisé par le réalisateur (A Scanner Darkly, A Waking Life), permet au film de prendre la forme de conte éveillé, de flotter, avec un effet quasi psyché. Imagination, fantasme et mémoire s’entremêlent jusqu’à trouver une résolution dans l’avant dernière scène du film lorsque les parents portent Stan endormi du salon où la télé ronronnait à son lit :
-Est-ce que Stan était réveillé quand il (Neil) a fait ses premiers pas ?
-Je ne sais pas, il était crevé, AstroWorld a eu raison d’eux.
-Je veux juste qu’il soit capable de raconter ça à ses petits-enfants qu’il a vu les premiers pas
sur la Lune.
-Tu sais comment la mémoire fonctionne : même s’il dormait, il dira un jour qu’il a tout vu.
Et c’est endormi que Stan aura vécu, à la télévision, les premiers pas sur la Lune, un 20 juillet 1969, dans un monde qui parait si loin.
* Rob Reiner, 1986
** Paul Thomas Anderson, 2021
Apollo 10 ½ : A Space Age Childhood écrit et réalisé par Richard Linklater
Avec Milo Coy, Glen Powell, Zachary Levi, Lee Eddy, Bill Wise & Jack Black
Sortie le 1er avril 2022 sur Netflix
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