Troisième volume de la prestigieuse collection « Les Archives du Monde Moderne » mitonnée aux petits oignons et au beurre de sauge par les Éditions Mono-Tone, TB Jerck XXX est un ouvrage séminal à l’intention de tous les fondus de vinyle et d’art brut.
Sous-titré « Une étude de la graphomanie vinylique », ce livre d’art traite d’un sujet essentiel sous-estimé par les ethnologues, les sociologues et les musicologues, voire même les psychologues qui, pourtant, tiennent là un formidable sujet d’étude. Perplexe, et à juste titre, vous vous demandez ce qu’est la graphomanie ? En préambule, les auteurs précisent que le terme vient de graphorrhée : impulsion irrésistible d’écrire. Là, en l’occurrence, c’est le besoin irrépressible d’écrire sur des pochettes de disque, comme les Néandertaliens rédigeaient leur liste de courses sur les murs de la grotte familiale avant d’aller à Mammouth. Les anthropologues, Didier Balducci, auteur niçois de nombreux ouvrages sociologiques de référence et guitariste historique des insubmersibles Dum Dum Boys, associé à Philippe Nicole, disquaire tulliste exerçant dans une caverne vinylique baptisée The Rev, et auparavant chanteur – bassiste des sémillants King Size, les deux partagent une passion commune : le vinyle. Chez eux, ça a viré à l’obsession et nécessairement, consumés par leur ardente passion, ils s’attachent aux détails les plus insignifiants pour l’homo sapiens commun, mais qui, dans leur cas, prennent des proportions monumentales. Lors de leurs incessantes fouilles archéologiques pour exhumer des vinyles des vide-greniers, des brocantes et autres bourses aux disques, ils dénichent des trésors et notamment, ces disques, le plus souvent des 45 tours, aux pochettes personnalisées par leurs propriétaires. Certains y ont écrit leur nom pour ne pas se les faire piquer à la première boum venue. D’autres y ont laissé des notes lapidaires comme « TB Jerck XXX » pour : « très bon jerk », les trois croix signifiant une très bonne note, ou « disco de merde » sur le 45 de Gloria Gaynor qui illustre la couverture du livre. Nombreux aussi dessinaient grossièrement des bites, des moustaches ou des croix gammées, mais c’était avant l’avènement du punk qui a un peu redéfini l’art rupestre. On peut légitimement parler, et les auteurs en conviennent, de discipline dadaïste. Didier et Philippe ont disséqué les pochettes, étudié l’intentionnalité des œuvres, ils se sont attardés sur les détails pour se livrer à un boulot ethnographique remarquable, pas très conventionnel d’un point de vue académique je vous l’accorde, mais qu’importe la méthode. Précision importante : ils ont privilégié l’humour au conformisme. Finalement, seul le résultat compte. Ils situent principalement la période d’écriture sur les pochettes, des années 60 au milieu des années 70. Avec l’extinction progressive du vinyle au profit du CD, l’art de la graphomanie vinylique a fait long feu et n’a étonnamment pas réapparu avec le retour en grâce dudit vinyle. Cette discipline comprend plusieurs pathologies liées l’une à l’autre par de nombreux points communs. Didier et Philippe les décryptent tout au long de ces pages abondamment illustrées en quadrichromie et commentées avec beaucoup d’humour, de tendresse, de poésie et de bienveillance envers les créateurs de ces œuvres d’art. On s’instruit à chaque paragraphe, l’érudition des auteurs débordant largement du cadre de la musique, et chaque page est au moins ponctuée par un éclat de rire si ce n’est plus. On trouve même un chapitre à se bidonner, d’un humour tout « balduccien », celui consacré à une déclaration d’amour de Didier Balducci à une mystérieuse Ravina fantasmée qui inscrivait son nom en gros et en lettres majuscules au dos des pochettes de 45 tours. Les disques, des pièces uniques forcément puisque personnalisés, sont principalement rock ; on ne trouve pas de 45 de Claude François recensé par exemple, et pourtant, combien de milliers de singles de Cloclo ont subi les assauts graphiques de fans enamourés ? En postface, les auteurs appellent de leurs vœux un retour à l’écriture sur pochette, comme un retour à la normalité, pour ne pas dire à la civilisation. Quand je pense que certains d’entre vous n’ont pas encore ce magnifique ouvrage entre les mains, mais vous êtes complètement inconscients ou quoi ? TB Livre XXXL.
Didier Balducci & Philippe Nicole TB Jerck XXX Éditions Mono-Tone
(254 pages, 18 € + port)
Photo de couverture: Annie Bossut ©
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