Didier Balducci « Tourisme Parallèle – Tome V »

La Baie des Anges bourdonne, c’est la folie à London, Didier Balducci sort le cinquième volume de son incontournable saga Tourisme Parallèle. De Saint-Laurent-du-Var à Menton, la Côte d’Azur frémit, la french riviera est aux abois, suspendue aux pages du seul guide touristique des Alpes-Maritimes qui vaille.

Puisque Christian Estrosi et Éric Ciotti n’en ont jamais rêvé, Didier Balducci l’a fait ! Enfant, j’attendais toujours fébrilement la sortie en kiosque de Pif Gadget, Rahan et Mickey Magazine que je dévorais une fois arrivé à la maison, avant même d’ouvrir mon cartable pour faire les devoirs. Devenu « adulte » – légalement parlant –, et après avoir fait mes humanités en épluchant Best et Rock&Folk, je trépignais en attendant le nouveau numéro de Nineteen, celui du Légume du Jour, de Abus Dangereux et de quelques autres publications de même obédience. Ce qui me valait la risée de mes petits camarades à Spliff qui me voyaient sauter de joie au milieu du magasin en découvrant chaque nouvelle publication. Je concède volontiers que tous les Tourisme Parallèle de Didier Balducci produisent le même effet sur mon cerveau reptilien. Je n’ai rien lu d’aussi drôle depuis le Tome IV de la même collection Tourisme Parallèle (Éditions Mono-Tone, 2021) qui était consacré à sa visite des arrière-cours et des cuisines des Etats-Unis. Pour une fois, il s’éloignait de Nice, intarissable source d’inspiration regorgeant de mille et un trésors et autant de joyaux à ciel ouvert. Les futurs Bernard Pivot soutiendront à raison que Didier Balducci aura été l’auteur qui a le plus mis Nice en valeur au XXIème siècle, au point où Christian Estrosi, le maire actuel de la cité azuréenne, envisagerait de lui remettre les clefs de la Ville à la demande de ses concitoyens médecinistes, première étape d’un long processus qui conduira inéluctablement les Tourisme Parallèle à rejoindre la prestigieuse Pléiade. En attendant les agapes, ce nouveau volume invite le lecteur à s’aventurer dans des contrées exotiques, comme Saint-Laurent-du-Var, séparée de Nice par le Var, tel le fier Rio Grande faisant office de frontière naturelle entre le
Texas et le Mexique. Saint-Laurent-du-Var que l’auteur se fait un devoir de persécuter affectueusement à la moindre occasion, moins par perversion que par déontologie professionnelle pour rendre compte et témoigner du déclin d’une civilisation déjà éteinte à la naissance, ce qui lui vaut d’être persona non grata en ville, interdiction qu’il contourne parfois à ses risques et périls pour assister à de grands événements comme un spectacle de sosies de Johnny, Eddy et Jacques, alias Les Canailles. D’ailleurs, il envisage, et c’est lui-même qui l’évoque dans le livre, de rédiger un Dictionnaire amoureux de Saint-Laurent-du-Var. On bout déjà d’impatience. Depuis le temps qu’il la dépeint, la mystérieuse Saint-Laurent-du-Var est sujette à mille questions auxquelles seul Didier Balducci est habilité à répondre. Comme toujours, il nous donne surtout à visiter son quartier et les rues avoisinantes, sans trop s’éloigner, pour parler de commerces hors du temps et de l’espace, de la coulée jaune et d’autres spécificités locales, spécialités niçoises parfois imitées vulgairement, voire honteusement copiées, mais jamais égalées. Il évoque le quartier Cimiez, le bas, surtout pas le haut malheureux, le haut, c’est un autre monde, non, le bas, là où il rêve de déambuler nu. Mais parmi toutes ses aventures, ses pérégrinations, il nous dévoile enfin le Graal, le lieu qu’il nous tardait d’explorer : son propre appartement, avenue Villermont, en centre-ville, loin du tumulte du bord de mer, loin des pantacourts, des chaussettes – sandales et des odeurs de crème solaire embaumant la Promenade des Anglais. Après une rapide visite de son 50 m² regorgeant de trésors rapportés d’explorations à travers le monde, de la Place Rouge à Memphis en passant par le Mexique, Naples ou Saint-Laurent-du-Var, il nous invite dans son propre cabinet des curiosités où sont entreposés les joyaux de la couronne, un nombre incalculable de bibelots, beaucoup à l’effigie de ses idoles : Elvis, Mao, Staline, Richard Nixon, Mimie Mathy ou le Pape, des VHS, des magazines, des boules à neige, des dinosaures en plastique et tout ça entassé sur des rayons dans les 2m² de ses toilettes. Ôter une pièce et c’est toute la mémoire de Babylone qui s’effondre. Pour s’aventurer là, il faut avoir une âme d’Indiana Jones, prêt à affronter tous les dangers, paré à éviter tous les pièges tendus par autant d’objets précieux qui stimulent les fantasmes, sans craindre de se faire happer par son imaginaire. Ce trésor était précieusement gardé secret jusque-là, mais cette fois, l’auteur a entrouvert la porte. Désormais, il peut s’attendre à voir défiler dans ses chiottes plus de visiteurs que le festival de Cannes ne reçoit de spectateurs chaque année. À raison d’un euro la visite, il pourra racheter tout le quartier de la Libération
à la ville de Nice pour le privatiser afin de le préserver, car son quartier et ses habitants, il les aime, il en parle toujours avec amour, respect, affection, tendresse et humour. Au point de donner envie de rencontrer le maraicher surnommé «Le Lent», trois semaines de congés payés devraient amplement suffire pour se faire servir une laitue, et deux tomates. Toutefois, prévoyez l’appoint pour le payer, sinon, vous auriez besoin d’un arrêt de travail pour prolonger votre séjour de deux semaines. Le chapitre surréaliste consacré au passage pour piétons au croisement de la rue Alfred Binet et du boulevard Joseph Garnier vire au burlesque. Avec ce nouveau tome et comme à chaque livre de Didier Balducci, on éclate de rire trois ou quatre fois par page. Des éclats de rire virant souvent aux fous rires. C’est le minimum éditorial auquel il s’astreint. Son humour est délicat, tout en finesse, dans la nuance, jamais dans l’exagération ou si peu, toujours au second degré, un brin provocateur, mais jamais méchant. Le garçon est foncièrement gentil. Il se moque gentiment, sans vulgarité ni grossièreté. Un des plus grands auteurs français du moment en plus d’être le guitariste des cultissimes Dum Dum Boys, un auteur rock, mais pas que. La preuve, c’est sous sa plume qu’on découvre cet étonnant haïku typiquement niçois jamais mentionné jusqu’alors dans aucun précis d’ethnologie: «Le free-jazz c’est comme les anchois, ça donne soif ! » Désormais, plus rien ne s’oppose à ce qu’il fasse son entrée dans La Pléiade et à ce que notre chère ministre de la Culture déclame : «Entre ici, Didier Balducci». Lisez tous les volumes de Tourisme Parallèle, vous nous remercierez plus tard.

Didier Balducci Tourisme Parallèle – Chroniques – Tome V Éditions Mono-Tone
(314 p., 14 €)

Patrick Foulhoux

Ancien directeur artistique de Spliff Records, Pyromane Records, activiste notoire, fauteur de troubles patenté, journaliste rock au sang chaud, spécialisé dans les styles réputés “hors normes” pour de nombreux magazines (Rolling Stone, Punk Rawk, Violence, Dig It, Kérosène, Abus Dangereux, Rock Sound…), Patrick Foulhoux est un drôle de zèbre.

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