Je dois bien en être à trois albums écoutés pendant ce confinement. J’ai eu un blocage musical pendant que d’autres se transformaient en stakhanoviste de l’écoute, à multiplier les pistes, à tisser des liens de parenté d’artistes sur deux décennies voire composer des morceaux pour les plus prolifiques d’entre eux. Je passe les quizz, playlists, albums du mois du jour de l’année du confinement dont je ne donne, pas plus qu’on ne me le demande, mon avis. Ce n’est pas que j’ai perdu le goût de découvrir des nouvelles choses, c’est que je suis moins curieux, quasiment hermétique à force d’écouter trop souvent les mêmes choses. Le moment correspond aussi à une plus large période où je n’arrive plus à écrire de musique et où j’en questionne le sens et la quête, où cela ne m’intéresse plus beaucoup dans la compréhension de qui je suis. Le confinement est aussi le temps de l’introspection.
Me rappelle que j’étais chez mes grands-parents, à Durtol (banlieue de Clermont-Fd.) et que je regardais beaucoup les clips M6. Le souvenir date de 1996, la même année où je découvrais Nada Surf parce que ma marraine bossait dans une boite de production et qu’elle me filait pas mal de disques. Je vois ce clip à la télé : Dodgy, « Good Enough ». L’esthétique m’accroche et chaque jour suivant je guette qu’il soit à nouveau diffusé. J’ai juste le temps d’attraper le nom « Good Enough » et par un cheminement d’un gamin de 12 ans, motivé donc actif, je me fais acheter le cd deux titres à la Fnac. 30 francs je crois. L’aventure est autant jouissive que l’écoute : elle mobilise. Cette petite fenêtre dans le passé me rappelle qu’aujourd’hui je paye mon abonnement Deezer et que si le désir m’en prend, je peux laisser bosser les algorithmes pour me faire découvrir des chansons. C’est pas mal, j’ai la fausse impression d’être un numéro 10 et de mener mon jeu musical. Sauf que c’est d’une paresse absolue, mon geste se limitant à poser mon doigt sur un bouton qui active un cœur rouge sur l’application, qui l’enregistre sur mon compte et qui me permet, avec toujours autant d’efforts (1 centième de calorie intellectuelle et physique), de pouvoir réécouter la piste ultérieurement. Il manquerait plus que je fasse autre chose en même temps pour ne pas me rendre compte que j’ai écouté 20 titres dans le vide.
Voilà qu’en avril 2020 ce flot aléatoire m’a fait passer de Kurt Vile (point de départ) à Kevin Morby (« Harlem River », tube ultime), aux Allah-Las, à Dope Lemon et à Far Caspian (point d’arrivée). Moment de grâce auditive, je suis attentif. Faut dire que j’ai des bonnes enceintes et que je suis un fin mélomane. En somme, on ne me la fait pas. J’en arrive alors à la beauté, certes relative, d’un EP de Far Caspian, dont je n’avais jamais entendu parler. Je me suis quand même demandé si c’était Caspian qui allait un peu plus loin. Recherche pour la forme (1 nouvel onglet, 1 demi calorie, scroll down, clic gauche), petit nystagmus pour découvrir que c’est le projet de Joel Johnston, ce qui m’a fait penser à Daniel et donc à mon oncle. D’ailleurs, si Johnson c’est « le fils de Jean », est –ce que Johnston est le « fist de Jean » ? Joel, multi instrumentiste (synonyme ici de talentueux) est Irlandais mais vit à Leeds, ville dont les paysages me plaisent assez, et je dis ça en connaissance de cause. Moi grand baroudeur, j’y étais encore l’été dernier. Les murs de brique de la classe ouvrière, des usines abandonnées contrastant avec quelques magasins mondialisés illustrant l’ère post-industrielle anglaise dont Leeds pourrait résumer à elle seule le programme d’histoire-géographie de 4ème. Le disque s’appelle Between Days. Ca tombe bien, on ne sait plus ce qu’on fait entre les jours d’hier et d’aujourd’hui, ou demain qui ressemble à avant-hier et autant que dans 4 jours.
Bref tout est un peu flou. Cinq titres, 19 minutes, le temps d’une rêverie pendant laquelle on peut se laisser bercer par notre esprit vagabond. Une évasion dans un ailleurs qui ne nous est plus donné à l’heure où j’écris. Les morceaux comme « Between Days » ou « Blue », que nos meilleures plumes appelleraient de la pop dreamy sont l’intemporalité instrumentée d’une mélancolie dont l’essence est enjouée, celle qui n’est pas passéiste. C’est un verre quasi vide à deux doigts d’être à nouveau commandé au comptoir, autour duquel les corps s’entremêlent dans une ambiance de fin d’après-midi de fin mai, quand il fait si bon que le temps est suspendu, que l’on pense que tout est possible. On ne se soucie pas trop de demain ni de la veille. On est arrêté entre deux jours. Les herbes hautes peuvent continuer d’être balayées à l’horizon de nos regards, les jours peuvent continuer de rallonger sur une nouvelle écoute de ce disque.
Far Caspian Between Days Dance to the Radio
TRACKLIST :
Face A
Between Days
Blue
The Place
Face B
Let’s Go Outside
Finding My Way Home
mais aussi et surtout, chez tous les bons disquaires indé’ !
Ayant vécu quasiment la même expérience de découverte lors du premier confinement… je n’aurai pas pu décrire ça de manière aussi juste… Même effet, même blocage et cet EP qui fait parti désormais de cette BO de 2020. Ces découvertes good mood qui m’ont permis de « tenir » dans cette période compliquée. Un petit bijou que j’écoute encore régulièrement.