Franky Sinistra & Poup « Les sentiers de la poisse »

L’inimitable duo Poup/Marco (surnommé Franky Sinistra dans cet exercice) revient avec un troisième livre composé de dix nouvelles noires, ouvrage toujours accompagné d’un disque pour ambiancer la lecture. Cette fois, ce ne sont pas eux sous enseigne Traffik Drone qui signent la musique comme pour les deux premiers ouvrages, ils ont confié la bande-son à d’autres et pas des moindres. Leur concept est en train de prendre une ampleur qu’eux-mêmes n’imaginaient pas au lancement de cette affaire en 2016.

Franky Sinistra et Poup, qu’on a connus au sein des Ambulances et qu’on a retrouvés plus tard sous franchise Mystery Machine, ont opté pour une autre forme d’expression avec l’écriture en ce qui concerne Franky Sinistra en tout cas puisque Poup a toujours été illustrateur en plus d’être batteur. Poup est adepte du dessin noir et blanc en usant des deux couleurs de manière tranchée. Il ne fait jamais dans le gris, jamais dans la nuance. Son truc, ce sont des aplats profonds. Ses personnages ont toujours des têtes de psychopathes ou des gens qui ne portent pas la joie de vivre ou la santé sur leur visage. Là encore, Poup se charge d’illustrer le livre. À partir d’évènements historiques ou de faits divers marquants, Franky Sinistra s’attache aux victimes, plus vulgairement appelées les dommages collatéraux, pour des petites histoires d’une profonde noirceur à l’instar du dessin de Poup. Sinistra s’est inspiré de la prohibition, de la crise de 29, du terrible accident survenu au camping de Los Alfaques le 11 juillet 1978 et plus encore pour une dizaine de terribles nouvelles qui auraient pu faire la une de Détective ou l’objet de “pulp fictions” ou de parfaits synopsis pour films noirs. La musique étant leur cœur de métier, Sinistra et Poup en ajoutent à leurs écrits. Chaque nouvelle est illustrée par une chanson. Si Franky Sinistra’s Magic Orchestra donne sa version des faits, derrière ce nom occasionnel, on retrouve évidemment Franky, Kinou des Doum Doum Lovers à la batterie, son mari Jean Jean (Doum Doum Lovers, ex-Thompson Rollets) à la guitare, Don Joe (Don Joe Rodeo Combo, Indian Ghost, ex-Boy-Scouts et propriétaire de Pop Sisters Records, éditeur du livre) à la basse et Philippe Gilard aux chœurs. Un véritable all star band. Le disque démarre par le toujours impeccable El Barraw, plus mondialement connu sous le nom de François Lebas (ex-Fixed Up, ex-Backsliders, Asphalt Tuaregs et mille autres groupes) avec pour la première fois pour lui me semble-t-il, une chanson en français. Mais sa voix est si épaisse que son français sonne anglais. “Bill Douglas” aurait pu être au répertoire de Fixed Up ou de Backsliders, on est dans le même registre. Sublime morceau d’ouverture prometteur pour la suite. Les inconnus My Monkey Got The Key livrent une sublime “Qué calor !” très Alain Bashung dans l’esprit et la diction. Un régal. Choum, impeccable comme toujours (ex-DIT, Cantharide, Sandbox), donne une “Fall Street Crash” aux accents du sud, on entend Memphis, la Nouvelle-Orléans, le Texas, Calexico ou Giant Sand dans ce morceau. Si les labels institutionnels avaient un peu de jugeote, ils se pencheraient sérieusement sur Choum qui a un énorme potentiel si on voulait seulement lui accorder un minimum d’intérêt. Don Joe Rodeo Combo poursuit avec “L’Arabe du coin”, une chanson monumentale qui va faire des étincelles, autant pour le texte que pour la musique, un morceau ravivant les grands noms du rock en France de la fin des années 70. Un peu de punk rock basique ensuite avec Le Réparateur qu’on n’avait plus entendu depuis un moment pour illustrer une nouvelle inspirée par le film d’Hitchcock La mort aux trousses, à la manière des $heriff/Parabellum/Rats. Atmosphère diamétralement opposée avec l’excellente country “Toronto Vice” de John Wayne Supermarket pour évoquer un célèbre faits divers impliquant les Stones. Extrait : « Un coup de marteau dans les chicots. De tournevis dans les rotules… », bonne ambiance quoi. Bang Bang Band Girl met en musique la nouvelle attachée au fameux épisode de “la main de Dieu” du footeux Maradona avec des intonations swampy limite vaudou. À foutre la pétoche. Le Franky Sinistra’s Magic Orchestra donne un morceau charnu, massif, un “Buvard du crépuscule” musculeux, inquiétant, aussi noir que la nouvelle qu’il accompagne. Bad Chili & The Crabs dénotent avec un “Prohibons, mes frères” impressionnant qui nous replonge
en 1978. Manquent pas de culot ceux-là en balançant des “coups de pelle” à la cantonade. Le célèbre duo périgourdin Doum Doum Lovers livre sa version d’un faits divers pour le moins “lunaire”. Le duo guitare – batterie appuyé par la superbe voix de Jean Jean reconnaissable entre mille, balance un “Grand P’pa pour l’humanité” pas dénué de cynisme et d’humour, noir comme il se doit. Franky Sinistra et Poup réalisent une fois encore un ouvrage impeccable à tous les étages, littéraire, graphique et musical. Un livre préfacé par Alain Feydri (auteur de nombreuses biographies : Kinks, Cramps, Flamin’ Groovies, Buddy Holly), un ouvrage à la direction artistique ambitieuse et parfaitement réussie. Chapeau bas.

Franky Sinistra & Poup Les sentiers de la poisse Pop Sisters
(90 p., 14 €)

TRACKLIST :

El Barraw Bill Douglas et l’émeute
My Monkey Got The Key Qué calor !
Pierre Choum Chaissac Fall Street Crash / Icare se marre)
Don Joe Rodeo Combo L’Arabe du coin
Le Réparateur Crevettes aux trousses / Désolé Pamela
John Wayne Supermarket Toronto Vice
Bang Bang Band Girl Mano de dios / The Hand
Franky Sinistra’s Magic Orchestra Buvard du crépuscule
Bad Chili and The Crabs Prohibons, mes frères
Doum Doum Lovers Un grand P’pa pour l’humanité