Présentée dès son premier album, comme la relève supposée de Pj Harvey, Shara Worden a démontré depuis, avec son groupe My Brightest Diamond (MBD), qu’elle était bien plus qu’une énième sensation. Plutôt que de multiplier les comparaisons stylistiques avec ses contemporaines, le propos serait de parler de la liberté que s’octroient désormais certaines agitatrices, comme Shara Worden, dans la sphère globalisée de la Sono Mondiale.
A l’instar de Tune Yards, chez MBD la musique libère les énergies, ouvre des possibles lorsqu’elle oublie les convenances, lorsqu’elle défie les usages.
Le rock, paradoxe vivant, à la fois expression libératrice et rebelle, mais aussi formule ressassée jusqu’à la moelle, est-t-il aujourd’hui rentré dans le rang? Question désormais éternelle, à laquelle cette chronique tentera modestement de répondre par l’exemple. Sarah n’est pas la nouvelle Marianne Faithfull, la nouvelle Billie Holliday, la nouvelle Laurie Anderson, le nouveau Ian Curtis, le nouveau Ian MacKaye, le nouveau Johnny Cash et pourtant…
Chez MBD, c’est la parole qui détermine la forme, qui oriente les émotions au gré de l’inspiration et des opportunités. Shara Worden saisit les instruments, les esthétiques comme des occasions. Les sons, les textures se télescopent à travers la finesse des arrangements électroniques. MBD donne de l’espace, de l’ampleur à ses morceaux en convoquant les cuivres, comme dans « Before The Words », « This Is My Hand ». Ces mêmes cuivres qui apportent une aération, une légèreté dans un contexte parfois pesant, symptomatique dans « Lover Killer ». Shara Worden s’applique à construire ses morceaux sur une base rythmique puissante et élégante, où l’utilisation des montées assoit le caractère dramatique du disque (« Pressure »). Un disque cohérent et singulier, porté par cette voix qui chuchote, qui sautille, qui caresse, qui se multiplie; mais sait aussi gronder. Autrement dit, Worden nous offre une palette vocale saisissante, à l’opposé de la performance technique. L’approche est avant tout sensible et incarnée.
« Take My Hand » oscille ainsi entre le fragile et le mystérieux, entre le religieux et le mystique. Les sentiments sont multiples. L’humeur est changeante. Les blessures de la vie, de l’enfance sont parfois plus présentes, parfois plus contenues, plus secrètes. Le talent de la jeune femme s’exprime dans cette narration sincère et poétique. Dans « I Am Not The Bad Guy » qui pourrait apparaitre comme la pierre angulaire du disque, elle chamboule les représentations masculines et féminines, à travers un exercice singulier de changement de point de vue. Sur ce morceau, elle fait appel à la tension électrique de la guitare de ses albums passés, A Thousand Shark’s Teeth (2008) et Bring Me The Workhorse (2006). Ce morceau agit comme une catharsis, laissant une impression d’apaisement dans la deuxième partie du disque, à l’image des (faussement) plus calmes « Looking At The Sun », « Shape », So Easy ». L’album se conclut sur l’électronique « Apparition ». Shara Worden s’efface alors sous un mille-feuille sonore en constante progression. Le troublant et fantomatique portrait de la pochette du disque semblait annoncer cette disparation à venir.
Et si l’avenir du rock et de la musique en général passait par les femmes ? Trop longtemps prisonnières des producteurs et de l’industrie du disque, elles occupent de plus en plus l’espace et inspirent depuis de nombreuses années une forme de renouveau. Les hommes, esclaves de leurs propres références, sont aujourd’hui les victimes de leur toute puissance passée, de la virilité intrinsèque du Rock’n’roll, de cette carapace tatouée et délavée. Le système, le capitalisme, appelez–le comme vous le voulez, a capturé le mouvement, a broyé les icônes du passé: le constat est déprimant comme lorsque le dieu, l’Iguane devient la marionnette de la téléphonie et le joujou de la brocante en ligne. La question essentielle que pose pourtant le rock’n’roll est celle de la liberté. Nous ne parlons pas de cette liberté de façade, baignant dans le consumérisme, bien plus proche de la posture et de l’apparat, mais bien de cette liberté de parole et d’être, de cette liberté de refuser l’ordre établi.
My Brightest Diamond This Is My Hand Blue Sword/Asthmatic Kitty
Site web de My Brightest Diamond et d’Asthmatic Kitty.
TRACKLIST:
Pressure
Before the Words
This Is My Hand
Lover Killer
I Am Not The Bad Guy
Looking at the Sun
Shape
So Easy
Resonance
Apparition
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