Grand absent des récompenses de la rentrée littéraire, Odezenne a pourtant signé, avec Au Baccara, un fascinant recueil de nouvelles hallucinées et l’une des plus cinglantes expressions de l’ère post moderne. Mais pourtant rien du côté du Renaudot et du Goncourt, il y a décidément des claques qui se perdent!
Au Baccara fascine page après page par sa capacité à installer des ambiances flottantes, nocturnes et dérisoires, remplies de désespoir et de schizophrénie. En quelques lignes, le corps du narrateur se transforme en un scaphandre dans lequel nous évoluons au milieu des sentiments perturbés et chaotiques du héros, une sorte de Vernon Subutex, dont la statue de Joe Strummer aurait été subtilement remplacée par celle de Jacno. Le rythme suit les humeurs et la teneur des substances consommées, à l’image de « Bonnie » et « En L ». Dans les années 80, le désenchantement était célébré avec naïveté et entrain, aujourd’hui, il se noie dans les nappes synthétiques de la nostalgie, en recherche permanente de cet ailleurs virtuel et idéal, parfois de la régression post-adolescente. S’échapper c’est sûr! Mais à quoi ? Aux injonctions médiatiques mettant en scène la vie comme un catalogue Ikea? Sur la toile, tout est beau, tout est joli, mais tout est sale, tout est perdu aussi.
On va mourir demain, mais moi je veux vivre avant.
« Lost »
Dès les premiers instants de « Bébé », la virée se transforme en une plongée asphyxiante, empreinte d’un surréalisme égo tripé, s’en prenant au rituel et à la convention des vernissages. Au milieu des galeries, le prétexte de la culture instituée recouvre à peine la superficialité de la situation. Ainsi on vide le sens et les cubis, pour passer le temps et supporter l’ennui. Un peu comme dans la vie, vous allez me dire? Odezenne appuie le trait, et accentue la pente de cette lente descente aux enfers du spleen, où un spliff peut donner l’illusion d’un répit émerveillé (« James Blunt »). La trêve se prolonge à travers l’éclaircie réverbérée d’ « Au Baccara », en forme d’étrange déclaration d’amour. Très loin de l’omniprésent Michel Houellebecq, et de son assurance patentée, Odezenne s’inscrit dans le sillage des écrivains qui expérimentent et cherchent, non pas dans le souci de se démarquer, mais bel et bien pour donner du sens, à ce qui pourrait cruellement en manquer. Je pense notamment à Robert Oster, et à son étonnant Rouler (Éditions de l’Olivier), à son sens du détail, à cette liberté, cette sensation que procurent les contraintes obsessionnelles qu’il s’impose dans sa façon d’écrire ce roman unique. Mais revenons à notre objet du jour. En effet, la tension remonte de plusieurs crans et frise le malaise sur l’un des chapitres suivants, et le jeu de superpositions captivant de « BNP », organisé autour des mots bouleversants de Nabounou, cette jeune Béninoise sans papiers.
J’ai rencontré des gens honnêtes, des malhonnêtes…
Certains viennent causer avec toi, parler, te demander si ça va…
J’ai montré les dents, joué avec mon sentiment.
B. Mais c’est la fausse bonne humeur
N.P. Ils sont mauvais dans leurs cœurs
Rends la monnaie! Ils disent soit disant
Rends les billets. Je t’aime, je t’aime, ouais N.P.
« BNP »
Le paroxysme est proche. L’ambiance rappelle la chaleur moite du Pulp, où résonnait les mixes déviants de la colocataire de Virginie Despentes, Sextoy. Et même si jusqu’ici tout va bien, viendra forcément l’heure des bilans. Ainsi avec « Jacques a dit », les mots deviennent pastels, presque décolorés, et se répètent dans le désordre, déshumanisés et déshumanisants. Et il faut bien souffler avec « Tony » (enfin tout est relatif) pour redescendre sur terre, ou plutôt remonter à la surface.
Au Baccara est assurément un O.V.N.I. (je sais elle est facile !) littéraire, dont j’attends désormais avec impatience l’adaptation sous la forme inédite d’un album-concept de Rap authentique, novateur et percutant.
Odezenne Au Baccara Universeul
TRACKLIST:
Face A
Nucléaire
Lost
Bébé
En L
Bonnie
Face B
James Blunt (feat. Moussa)
Au Baccara
Pastel
BNP (feat. Nabounou)
Jacques à dit
Tony
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