En 1975, peu après avoir passé quelques temps à trainer en Europe (et notamment en France, ou il fut impressionné par sa rencontre avec les Gitans aux Saintes-Marie-de-la-Mer), Bob Dylan décide de se lancer dans une nouvelle tournée, plus intime que la précédente (1974 marquait son retour triomphal sur scène après huit ans d’absence), avec un concept original : embarquer avec lui plusieurs invités : musiciens, artistes et autres poètes et se produire à leur côté. Cette tournée, c’est la Rolling Thunder Revue et c’est sur cette dernière que le nouveau documentaire de Martin Scorsese s’intéresse.
De cette tournée devenue mythique chez les fans du vieux barde résultait jusqu’alors un double live sorti dans les années 2000, le Bootleg Serie Volume 5 (2002, Colombia), et quelques rares images ayant fait saliver les gens pendant des années. C’est pourquoi l’annonce d’un documentaire Netflix sur cette tournée réalisé par Scorsese avait de quoi exciter les gens qui avaient pu se régaler dans le passé avec No Direction Home, fascinant documentaire du même réalisateur qui racontait brillamment la vie de Bob Dylan jusqu’à l’année 1966 où il se retira de la vie publique après un accident de moto. Mais alors, qu’est ce que ça donne me direz vous ? D’abord, la joie de retrouver old Bob s’exprimer devant une caméra, ce qui n’était pas arrivé depuis au moins une décennie, le gars ayant cessé de s’adonner à l’exercice de l’interview. Seul Scorsese pouvait se payer ce luxe là, de faire parler à nouveau la légende américaine. Ensuite, le bonheur de voir toutes ces séquences lives fabuleuses dont on connaissait parfois le son sans avoir l’image : et elles sont réjouissantes, ces images ! Dylan revisite les chansons de son répertoire, dont beaucoup de classiques, dans des versions aussi passionnées qu’endiablées, accompagné par des grands noms tels que Roger McGuinn, Mike Ronson ou encore son ex Joan Baez, qu’il retrouve après l’avoir quittée dix ans auparavant pour épouser la mystérieuse Sara (on notera cette séquence savoureuse ou les deux ex amants s’expliquent et règlent gentiment leur compte).
Ainsi, on retrouve entre deux images lives Dylan conduisant lui même son camping car ou se recueillant sur la tombe de Jack Kerouac accompagné du fidèle poète beat Allen Ginsberg qu’on retrouvera ici et là tout le long du documentaire. Parmi les divers témoignages récents filmés pour le documentaire, on retrouve aussi Hurricane Carter (pour lequel Dylan écrira une fameuse chanson destinant à le faire sortir de prison, sans doute sa dernière incursion dans le domaine de la protest song), Joan Baez, le curieux Stefan Van Dorp, censé avoir filmé les coulisses de la tournée, et même Sharon Stone qu’on s’étonne de voir ici (elle aurait participé à la tournée, alors adolescente, comment cette information a-t-elle pu m’échapper depuis tout ce temps ?). Je note l’absence de Scarlett Rivera, la violoniste recrutée par hasard dans la rue, on aurait aimé savoir ce qu’elle est devenue. Voilà, tout ça c’est ce qu’on voit lorsqu’on est naïf et pas encore bien informé comme je l’étais lorsque j’ai vu le film le jour même de sa sortie. Mais seulement, quelques jours après, je découvre sur la toile des informations accompagnant la sortie du film qui est en réalité pour moitié un documentaire et pour moitié une fiction, car plusieurs intervenants sont tout simplement des acteurs. Le curieux Stefan Van Dorp est un acteur. Le supposé sénateur, un acteur aussi. Et Sharon Stone joue son propre rôle, et ce qu’elle raconte n’est que fiction, elle n’a en réalité jamais pris part à la tournée. Au final, on a d’abord un peu l’impression d’avoir été pris pour des cons. Et puis, si l’on connait un peu le personnage qu’est Bob Dylan, on se dit que ce n’est guère étonnant de sa part, lui même étant coutumier du fait, raconter des histoires, mentir, pour brouiller les pistes, il le fait depuis le début. Reste à savoir si c’est lui ou Martin Scorsese qui a eu l’idée de ce vrai faux documentaire.
Au final, on retiendra les fabuleuses séquences lives et si on n’en a pas eu assez, on se consolera avec le coffret dantesque Rolling Thunder Revue sorti au même moment, et contenant son lot de perles. Columbia sait gâter le fan !
Rolling Thunder Revue : a Bob Dylan Story
sorti le 12 juin sur Netflix
Réalisé par Martin Scorcese
Avec Joan Baez, Sam Shepard, Ronee Blakley, Ramblin’ Jack Elliott,
Roger McGuinn, Ronnie Hawkins, Larry Sloman, Rubin « Hurricane » Carter,
Scarlet Rivera & Allen Ginsberg
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