Derrière cet étrange patronyme, se cache un aventurier de la boucle parfaite, un dénicheur de samples, un digger dans l’âme et surtout un amoureux de la MPC (ou « Music Production Center », bien plus qu’une machine, une philosophie, une façon singulière d’envisager la musique. Les intuitions de l’ingénieur Robert Lynn ont ainsi bouleversé la création musicale depuis l’invention en 1979 de la LM1 Drum Machine, ancêtre historique de toutes les MPC. Quelques années plus tard, le mouvement Hip-hop a trouvé dans les déclinaisons de cette boîte à rythme pas comme les autres, l’un des moyens de sa révolution sonore. Difficile de ne pas évoquer Madlib, qui incarne cette utilisation virtuose de la MPC à travers une créativité débordante et une approche quasi-mystique du son et du sampling. Chez Somepling, le curseur de l’espace temps semble, par contre, s’être arrêté au début des années 90, débouchant sur une version beatmaker du film Retour vers le Futur: direction des instants uniques qui auront vu émerger les premières productions de Dj Shadow, de Dj Krush, de Dj Cam, du label Mo’Wax…squatter nos platines.
Dans ce format long, il ne se passe presque rien, mais notre bonheur est entier, tant PaperSkies ressuscite dans notre imaginaire de merveilleux souvenirs cotonneux et cycliques. A commencer par l’introductif « Up » qui n’aurait pas dépareillé sur le monument Entroducing (de Dj Shadow chez Mo’Wax, 1996). Pour les plus jeunes, il n’est pas ici question de ces productions sans âme, qui se déversent au kilomètre aujourd’hui sur internet, et où tout un chacun se rêve beatmaker devant l’éternel. A travers une mécanique somme toute très répétitive, le propos de PaperSkies reste avant tout celui d’un musicien à part entière. Somepling compose littéralement des séquences en permanente évolution. Il laisse sa musique respirer, ouvre des espaces, impose des climats, et peaufine jusqu’à l’obsession le moindre détail. Les craquements de vinyle qui habitent ce disque, illustrent parfaitement au combien le hip-hop est basé sur des pratiques de détournements, de réappropriations et de recyclage de l’existant.
De tous les adjectifs qui alimentent le champ lexical définissant toutes ces formes de hip-hop instrumental, nous retiendrons forcément l’emblématique abstrait. Car c’est une évidence, PaperSkies est une œuvre abstraite, où la musique existe par elle-même, malgré son fort pouvoir évocateur. L’écoute de morceaux comme « Paperskies » ou « Dad » doit alors s’envisager comme une expérience sensible, qui se renouvelle d’écoute en écoute sans faiblir. L’envie de revenir sur ce disque touche même parfois à l’irrésistible. Sans être explicitement formulées, les intentions de notre hôte s’avèrent en effet extrêmement bienveillantes, agissant comme de douces invitations à partager de fragiles instants hors du monde et hors du temps.
Artisan de l’ombre, Somepling a donc sorti son album en format vinyle uniquement (et en digital), au printemps. Un disque édité en nombre très limité, et déjà (malheureusement ?) épuisé, qui pourrait nous faire regretter de pouvoir tenir entre nos mains cette pochette sobre et élégante, parfaite illustration d’une démarche méticuleuse et passionnée. Loin du brouhaha médiatique et mercantile, il démontre ainsi que la création contemporaine se concrétise aussi dans des formes modestes et discrètes, mais qui peuvent sans rougir, prétendre assumer de très louables ambitions artistiques, en débouchant sur des œuvres aussi personnelles et singulières que Paperskies.
Somepling PaperSkies Plexus
Site web de Plexus Records.
TRACKLIST:
Up
Oddysea
Quasar
Lynotype Lone
Talweg Yoddel
PaperSkies
Dad
Upper
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