Figure inspirante de la musique rock, et plus généralement de la contre-culture depuis la fin des années 70, Theo Hakola poursuit avec une grande constance sous son propre nom sa quête créative. Ainsi, à la marge de l’excitation permanente de l’actualité indépendante, la sortie de Water is Wet, grâce à l’intelligence du label Microcultures, apparaît comme un vrai événement, pour ce musicien qui s’entête avec fierté et passion sur le chemin d’un puissant folk rock élégant et habité, abreuvé de punk et de musiques traditionnelles.
Autant l’avouer de suite, Theo Hakola n’a jamais été l’objet d’une attention très régulière pour moi, et, pour ainsi dire, ma relation avec son œuvre se résume à la compilation Songs Sacred and Profane (1993, Barclay) des Passion Fodder, et deux albums majeurs de sa propre discographie Overflow (1997, Grosse Rose Records) et This Land is your Land (2012, Wobbly Ashes Records). Pour aller plus loin, c’est même par procuration que j’ai le plus souvent entretenu un lien étroit avec son œuvre et son influence : les premiers Noir Désir, 16 Horsepower, Giant Sand, Calexico, A Subbtle Plague, Gallon Drunk au même titre que le défunt Jeffrey Lee Pierce du Gun Club. Pourtant, invariablement et depuis plus de quarante ans, l’Américain impose une cohérence esthétique et une ligne de conduite qui forcent le respect. Plus largement, sa musique s’inscrit esthétiquement dans la grande histoire : Elle est ce fourre-tout génial où se mêlent folk, blues, bluegrass, hillbily et country, mémoire vivante de ce bouillon de cultures qui a forgé les musiques populaires.
Entouré comme un symbole par la fidèle Bénédicte Villain, à l’accordéon et au violon, mais aussi par des musiciennes et musiciens français expérimentés (évoluant à proximité de Versari, Bertrand Belin, Emily Loizeau…), à la basse, à la guitare baryton, à la batterie, aux chœurs, il met en scène à travers dix tableaux un étonnant cabaret de la vie, où il s’illustre par son art du récit : se raconter soi-même (« Never Bought a Bottle of Water », « Who the Hell ? »), utiliser sa plume comme un poing levé. À l’évidence, son approche musicale se confond avec son approche littéraire d’écrivain : figures de styles, emprunts, détours surréalistes, puissance poétique… Les textes sont reliés par l’emploi permanent du « Je », de celui qui se présente au cœur de son propos, que celui-ci soit intime, politique, philosophique ou unpeu des trois à la fois. Dans la grande tradition des « protest singers », sans artifice, il s’adresse au monde avec intégrité et vivacité, animé aussi bien par ses doutes que par ses convictions, très loin de la théâtralité grand guignol habituellement attendu dans l’univers du rock .
Ainsi, à la violence et à la complexité de la modernité, il oppose son expression lucide, libre et poétique, face à toutes les formes d’injustice, d’impérialisme et de domination, particulièrement sur « Raining Embers ». Ce disque élégant et sobre affiche un apaisement de façade. Le punk n’est jamais loin, prêt à bondir comme sur « Weak in The Knees » et son humeur Dischord particulièrement marquée, à proximitéde The Evens et de Coriky. Malgré les années, l’homme n’a rien perdu de sa rage et de son engagement, mais aussi de son impertinence et de sa malice (« In a Sauna You Sweat »). Si certains pourraient se complaire dans la nostalgie comme dans une sorte de refuge, à l’inverse, il inscrit viscéralement ces morceaux dans le présent. En écho à son album de covers I Fry Mine in Butter ! (2016, Médiapop), certaines de ses compositions pourraient justement passer pour des reprises tant elles reprennent les principes narratifs de chansons inscrites dans le patrimoine des musiques populaires, composées par des précurseurs comme W. C. Handy, Mel Tillis ou Woody Guthrie, en particulier sur « Bury me Standing » et « You Baby Blacks, Baby ».
Plus que jamais, Theo Hakola impressionne par l’intention qu’il imprime dans chaque mot, par la vérité des émotions qu’il développe (« Scratching the Stuff »), au point d’évoquer Jacques Brel (l’une de ces influences notables), contournant à merveille les propres limites techniques de sa voix (« Weak in the Knees »). Si certains pourront être freinés par un certain classicisme stylistique, ils ne pourront néanmoins pas passer à côté de la performance de ce grand monsieur, au sommet de son art, qui n’a jamais autant mérité son statut de monumentaux côtés des Nick Cave, Peter Walsh, Michael Gira, Mark Kozelek et bien sûr, de Bob Dylan.
Theo Hakola Water is Wet Microcultures
TRACKLIST :
Face A
Who’s The Hell ?
So Bad
Your Baby Blacks, Baby
Never Bought a Bottle of Water
In A Sauna You Sweat
Face B
Bury Me Standing
Scratching the Scruff
Raining Embers
1963
Weak In The Knees
mais aussi et surtout, chez tous les bons disquaires indé’ !
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