Cet usage syntaxique est devenu un marqueur de l’ère numérique depuis quelques années en même temps qu’une habile façon de se démarquer. Pourtant, il suffit juste de pousser la porte pour découvrir que derrière cette nouvelle entité se cachent deux monuments du Hip-Hop U.S, j’ai nommé SlimKid3, le MC facétieux, membre des mythiques The Pharcyde et DJ Nu-Mark producteur fantaisiste et inventif, membre des non-moins mythiques Jurassic 5.
Les deux tontons ont eu, en plus, la bonne idée de s’associer à un petit nouveau, Austin Antoine, qui l’air de rien, impose sa personnalité vibrante et son charisme de dingue face à ses deux ainés, sans complexe et avec l’aplomb des plus grands. Il y a quelques années, un certain disquaire (que je ne citerais pas par souci déontologique) m’avait suggéré de jeter une oreille sur les délires récréatifs de Nu-Mark et SlimKid3. Un LP sorti tout simplement en version double vinyle gatefold (avec instrus SVP !), qui fut certainement mon meilleur disque Hip-Hop de l’année 2014. Un petit label de rien du tout, avait pressé le truc en catimini, Delicious Vinyl, histoire d’amuser la galerie. Avec un titre comme « I Know, Didn’t I (featuring Darondo« , aussi tubesque, évident et fédérateur, comme locomotive, difficile de faire l’impasse sur cette véritable malle aux trésors, avec une liste de feat tout simplement dantesque : Del The Funky Homosapien ! Diamond D ! Murs !
Niveau son, rien d’étonnant à retrouver ce beatmaking lumineux, malin et mélomane, juste parfait pour tous les amoureux de la philosophie Boom Bap, mais pas que ! Depuis cette sortie immanquable, et absolument indispensable pour la rédaction de Slow Show, Nu-Mark s’est brillamment distingué avec son concept des « Zodiac Tracks », dans la lignée de son album solo éclectique et fouineur, Broken Sunlight (réunissant déjà lui-même une série de maxis). Et comme l’adage veut qu’on ne soit jamais mieux servi que par soi-même, Uncle Nu avait déjà sorti cette collection brillante, sur son propre label, Hot Plate Records (2012). Sur lequel sort d’ailleurs ce premier jet de TRDMRK.
2019, la toile avide de sensationnalismes et de contenus racoleurs, reprend une vieille rengaine des musiques populaires, l’ancien contre le nouveau, rengaine qui a déjà secoué le Jazz et le Rock bien avant le Rap, et inspire dans la forme comme dans le texte, ce disque de TRDMRK (et notamment « Burn It Up »). Pour simplifier de manière catégorique, le sujet se résume aujourd’hui à une opposition de principe entre le Boom Bap et la Trap. Est-ce que l’esprit Boom Bap a encore raison d’être ? Est-ce qu’il est déjà rentré au musée et dans les livres ? La Trap fait-elle encore partie de la culture Hip-Hop ? Le duo français Pumpkin & Vin’s Da Cuero détourne ainsi cette question (certainement inutile) avec esprit et décalage, reprenant à son compte la formule du président Jupiter avec leur « Make Boom Bap Great Again » (sur Astronaute, 2018, Mentalow Records). Comme l’affirme le grand MC, dans une vidéo récente, la nouvelle génération du Hip-Hop américain (en tout cas, celle que célèbrent aujourd’hui les mass médias) a certainement oublié d’où elle vient, et l’héritage Hip-Hop qu’elle pourrait reprendre à sa manière. A l’inverse, réduire le Boom Bap, à une merveilleuse usine à recycler des breakbeat Soul-Funk-Jazz, serait une erreur évidente. Comme beaucoup de beatmakers ou de producteurs historiques (petites nuances !), Dj Nu-Mark fait preuve d’une culture musicale hallucinante, gourmande, insatiable et obsessionnelle, consécutive à un digging passionné et espiègle. Cet appétit musical se ressent dans la profusion des sources et des samples qu’il superpose allègrement dans ses prods. L’an dernier, son pote Cut Chemist, avait déjà mis la barre très haute, en matière d’éclectisme et d’ouverture d’esprit avec Die Cut (2018, A Stable Sound), un album moderne, énergique et virevoltant, foncièrement estampillé Hip-Hop mais sous influence Electro, Post-Punk, Synth-Wave, Electronica. La réponse ne se s’est pas fait attendre de la part Dj Nu-Mark qui a convoqué SlimKid3 et Austin Antoine, histoire de démontrer que toutes ces questions de styles, de genres, n’ont aucune importance quand l’envie et l’inspiration, et surtout la vibration Hip-Hop sont bien là. En découlent, sept titres tous plus déments les uns que les autres, basés des instrus à tomber par terre, efficaces et directs, un brin séducteur, mais pour le coup, véritables tapis rouges déroulés pour les 2 Mc’s. Mark Potsic (dans le civil) utilise effectivement des ficelles un peu grosses, mais avec une telle assurance et une telle maîtrise, qu’il surpasse à peu près 95% de la concurrence (et encore je suis gentil). Au fameux débat susnommé, le trio répond par la musique, avec un album moderne et racé, n’hésitant à un faire un pied de nez avec un court exercice de style totalement 90’s, qui rappelle étrangement certaines ambiances du premier album de Nas (notamment le morceau « NY State of Mind) et de « Wrath of the Math » (1996, Payday) de Jeru The Damaja. Niveau référence, difficile de faire vraiment mieux. Même si la science des breakbeat est toujours la marque de fabrique de Nu-Mark, il révèle un autre aspect de sa musique, minimaliste, en insufflant une dimension cosmique à ses instrus, à travers des arrangements électroniques subtils. Mais notre homme a le sens du propos en plaçant une évocation vocale subtile de l’esprit « Solid Steel », le fameux radio show des Coldcut sur le trépidant « Hands Up ». Sur la plage suivante, « Pick It Up », avec un feat sur vitaminé de Dillon Cooper, l’imaginaire se tourne vers l’ « early Electro » façon Kraftwerk/DMX Krew. Elle permet un jeu de « à toi à moi » façon Swet Shop Boys et Das Racist, dont semble raffoler Austin Antoine et SlimKid3 (à retrouver également sur « Let Him Thru »). Ainsi difficile de ne pas ressentir l’influence du Grime UK, sur certains titres énergiques et haletants. Sur « Temptations », l’impact martial de la boucle impose une tension, proche de l’emphase de certains titres de l’Anglais à la voix grave, Flowdan. Avec beaucoup d’intelligence, Tonton Nu varie les plaisirs, en revenant à une ambiance plus funky sur « Burn It Up », où se révèle une nouvelle fois, l’aisance du petit nouvel Austin Antoine, dont le flow nuancé contraste à merveille avec SlimKid3.
Pour résumer, si ce format court (mais déjà imposant), annonce un album, il risque de faire très mal, pour notre plus grand bien. Avec un tel potentiel, TRDMRK s’élève déjà très haut au-dessus de la masse, avec l’intention de frapper très fort comme le firent il y a quelques temps Run The Jewels ou le projet collectif Quakers.
TRDMRK TRDMRK Hot Plate Records
TRACKLIST :
Side A
Hands Up
Pick It Up (featuring Dillon Cooper)
Broken Artists
Side B
Temptations
Burn It Up
Let Him Thru
Fall In Numbers (featuring Guilty Simpson)
Egalement dispo’ sur Bandcamp & Spotify,
mais surtout, chez tous les bons disquaires indé’ !
Compte-rendu du concert de Jurassic-5 & Dj Premier au festival Jazz à La Villette en 2015
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