C’est évidemment un luxe que de pouvoir assister à une conférence d’un auteur avant d’attaquer la lecture de son ouvrage, surtout quand il est aussi précis et documenté que Sample ! Et ce fut mon cas, lors de l’édition 2019 du festival Hibernarock, avec la venue du journaliste Brice Miclet.
Comme il le dit lui-même, c’est aussi en découvrant qu’aucun livre spécifiquement dédié à la question du sample dans les univers du Hip-Hop et du Rap n’avait été écrit, que son envie de s’atteler à ce sujet d’importance s’est affirmée. La culture Hip-Hop et son émanation le Rap, notamment en France, ont souvent été observées effectivement sous des angles sociologiques et historiques. En tant que technique révolutionnaire de composition musicale, le sample avait besoin d’un tel livre pour rendre hommage à la musicalité, à l’inventivité, et même à la virtuosité des producteurs Hip-Hop, que nous nommons aujourd’hui vulgairement beatmakers, (même si la nuance est notable). A l’image de sa démonstration orale, le propos écrit de Brice Miclet est extrêmement clair et structuré. Si le journalisme spécialisé en matière de musiques populaires (particulièrement à travers la figure romanesque du critique rock), consiste souvent à s’embarquer dans de grandes théories fumeuses, à susciter la polémique, s’emballer pour le moindre bootleg sorti comme par hasard des cartons, le moindre fait divers, il peut aussi comme dans ce livre, être basé sur un travail minutieux et rigoureux. Et c’est un fait, voilà un ouvrage qui nous permet d’apprendre beaucoup de choses, d’en confirmer d’autres, que nous soyons novices en la matière ou amateur éclairé. Si la culture Hip-Hop et notamment le Rap souffre encore aujourd’hui d’un regard condescendant, la qualité intrinsèque de Sample ! souligne au contraire la fantastique révolution esthétique et créative que des DJ précurseurs comme Dj Kool Herc et Grandmaster Flash ont activé sans vraiment le savoir ou en tout cas, sans réellement mesurer l’étendue de la déferlante à venir.
Concrètement, le propos se construit en deux parties distinctes, une première qui contextualise historiquement et techniquement les évolutions musicales que déclenche le mouvement Hip-Hop, et une seconde, qui présente chronologiquement une suite d’études de cas, concentrée sur des morceaux emblématiques et éclairants. Avec pour chaque, un développement autour du sample le caractérisant. J’aime tenir un objet que je peux feuilleter à foison, accessible et riche, qui ne s’épuise pas dès ma première lecture. Lui-même musicien, Brice Miclet introduit en effet, régulièrement des évocations musicologiques pour qualifier la recherche sonore et musicale. Cette volonté donne l’impression (heureuse et justifiée) qu’il place des producteurs comme Pete Rock, Marley Marl et autres Dr. Dre, au même niveau que des musiciens de légendes comme Jimi Hendrix, Miles Davis ou encore des maîtres comme Quincy Jones ou Eumir Déodato. Dans le même ordre d’idée, je pourrais évoquer comme un clin d’œil, Boris Vian qui comparait Duke Ellington, à Bach ou Mozart dans les années 50. Une belle façon de réduire (une fois n’est pas coutume) le fossé entre les petites musiques de la Pop Culture et la sacro-sainte grande musique. Loin de ne concentrer son travail de journaliste sur le seul Hip-Hop, l’auteur démontre néanmoins une attention toute particulière pour ces artistes de la modernité. Avec goût et à travers une sensibilité très personnelle, il oriente de fait le choix des œuvres qu’il valorise, et pousse même un regard plus affirmé sur certains sous-genres. Il ressort ainsi par exemple un intérêt significatif pour l’univers « Gangsta » du Rap, repoussant la tentation (récurrente) de se concentrer sur le seul son new-yorkais, et notamment le collectif Natives Tongues. Pourtant la qualité du travail journalistique ne saurait protéger le contenu d’une forme d’abstraction (difficile de décrire des pratiques parfois proches de celle d’un geek).
Mais par bonheur et beaucoup d’intelligence, il dépasse cette barrière avec un sens de la narration captivant, (et un brin d’humour non négligeable) à chaque exemple, qui personnalise avec brio à travers diverses anecdotes, les contours de personnalités complexes et parfois sulfureuses des rappeurs et de leurs producteurs. Si une partie de la mythologie des musiques populaires entretient un bon nombre de croyances en célébrant le génie inexplicable ou miraculeux de ces protagonistes, un livre comme celui de Brice Miclet permet à contrario de pointer que la créativité musicale a souvent entretenu une interaction permanente avec la technologie, où les musiciens s’emparent des innovations des ingénieurs (de Roland etc) souvent d’ailleurs en détournant les instruments de leurs usages premiers ou prévus, pour donner corps à leurs visions musicales. Si certains monuments du Rap US ont été composés dans les années 80, avec un matériel très onéreux et pourtant très limité, notamment en termes de mémoire, cet ouvrage suggère que cette contrainte technique a certainement favorisé l’inventivité d’immenses créateurs comme Marley Marl. Bien sûr, Brice Miclet isole une période faste, où la question du droit sur les samples n’étaient pas vraiment posée. Elle est suivie forcément, à la suite de procès retentissants, d’une nouvelle philosophie du sampling, qui influencera de nouveaux procédés et l’avènement de figure comme Madlib.
Cet ouvrage (déjà de référence) rejoint sans complexe la bibliothèque idéale des bouquins traitant des musiques populaires. En premier lieu, je placerais pour ma part, cette nouvelle petite bible aux côtés la série Hip Hop : Family Tree d’Ed Piskor (Papa Guédé), tant ces deux approches se complètent et se répondent. Je chroniquais il y a quelques mois, l’indispensable Last Night a Dj Saved My Life de Bill Brewster & Franck Broughton : ces deux essais partagent l’idée extrêmement forte, que les DJ ont quelque part défini, la nouvelle forme de création musicale (quasi majoritaire aujourd’hui), basée sur l’emprunt, le recyclage et le son en tant que matière, et assimilant le « studio » à un instrument à part entière. Je pourrais ainsi peut-être regretter que le lien avec les innovations des Jamaïcains (pour certains spécialistes, ils ont tout inventé !) ne soient pas plus affirmé dans Sample !, mais comme toutes les réussites du genre, ce livre tire nécessairement sa force et sa justesse de parti-pris intelligents et assumés, favorisant la clarté du raisonnement et du développement.
Après un tel coup de maître, je ne peux que souffler à Brice Miclet de remettre le couvert car ce ne sont pas les sujets qui manquent, mais il doit le savoir bien mieux que moi.
Brice Miclet Sample ! Aux origines du son Hip-Hop Le Mot et Le Reste
256 pages, 20,00 €
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